STENDHAL p>
Ses romans sont presque tous autobiographiques (mais en est-il qui ne lesont pas?). C'est, pour Stendhal, l'idéal qui fournit la jauge à laquelledoit se mesurer le réel; cet idéal cristallisé par Napoléon à qui Julien
Sorel voue une véritable passion. "Quoi! N'est-ce que ça?" est uneexclamation à la fois propre à Stendhalet qui témoigne a contrario de laprégnance de l'idéal chez l'humain. Balzac avait noté le ton "sec etsarcastique "de S., alors même qu'il le faisait rire en lui contant unehistoire italienne
Le Rouge et le noir (1830) p>
Les batailles et les victoires, que remporte Julien en amour avec Mme de
Rênal, suffiront-elles à lui faire oublier les rêves et la gloirepersonnifiés par Napoléon, dont il cache le portrait sous son lit?
On ne comprendra rien à l'³re napoléonienne si l'on passe sous silencel'enthousiasme des jeunes gens qui voyaient se réaliser sous leurs yeux etavec leurs bras le rêve révolutionnaire de 1789: les trônes abattus,l'ancien régime et ses privil³ges détruits, la nouvelle société basée surla raison et les droits ébauchée. C'est ainsi qu'il faut comprendre que lepatriote exagéré que fut le jeune Beyle entra totalement dans l'orbite de
Napoléon, comme en témoigne, entre autres le début de la Chartreuse de
Parme; c'est ce que décrit avec tant d'éloquence Michelet qui a pu écriredes armées révolutionnaires que "la poussi³re des chemins se soulevait àl'avance sur leur passage "; c'est pourquoi le philosophe Hegel, assistant àl'entrée de Napoléon à Ulm, dit avoir vu passer l'esprit du monde à cheval;c'est ce qui poussa une certaine famille de négociants de Livourne àcollaborer avec l'armée de la Grande Nation commandée par Bonaparte en 1796 -
1797; c'est ce qu'attestent les nobles derni³res paroles prêtées par Venant-
Denon au général Dessaix, à Marengo: "Allez dire au premier consul que jemeurs avec le regret de n'avoir pas fait assez pour la postérité. " p>
La legende napoleonienne s'inscrit dans un contexte naissant du XIXemesiecle qu'est le romantisme. Nous retrouvons dans Le Rouge et le Noir de
Stendhal cette generation perdue, marquee par Julien Sorel et a larecherche d'un ideal incorpore par Napoleon. Les ames romantiques ydecouvrent l'exaltation, la grandeur, la puissance, le genie, ... Evidemment,le Memorial de Sainte-Helene ne laisse qu'une l'image d'un herosromantique. Mais Las Cases n'est pas le seul a entretenir cette legende.
Des artistes, des chansonniers, des ecrivains comme Jean Tulard ou lesgeneraux Montholon et Gourmand publient des chansons ou livres quiglorifient les exploits de cet Empereur dechu (Memoires pour servir al'histoire de France); d'autres le critiquent pour son despotisme et sonimperialisme (Jacques Bainville, Charles Maurras ou Leon Daudet). p>
d'une part l'opposition du roman realiste au roman romantique, cetteopposition se realisant par rejet et denigrement du roman "romanesque", "al'eau de rose ", etc .. (voir par ex. Emma Bovary et ses lectures dejeunesse, voir aussi le personnage de Julien Sorel qui monte a l'assaut de
Mathilde, les poches bourrees de revolvers comme si on lui tendait uneembuscade ....d'autre part, ce rejet du roman "romanesque" par les lecteurs pour laraison que le "roman romanesque" n'est qu'un jeu qui n'a rien a voir avecla realite. [voir a ce sujet l'opposition entre Julien Sorel dans Le Rougeet Le Noir et son pere au debut du livre, lorsque nous decouvrons Julienpour la premiere fois]. Ce rejet, peut etre percu dans la dimensionpejorative d'expressions habituelles utilisant le terme de roman: "tout cac'est du roman "ou" la vie est un roman ". On prefere ce qui est vrai a cequi est invente: il faut donc que le roman, s'il veut conserver son public
"fasse vrai". Il est singulier que Stendhal passe encore aujourd'hui danscertains milieux pour l'avocat de Tartuffe a cause du Rouge et Noir. p>
Julien Sorel ou p>
la chronique d'un hypocrite p>
Le Rouge et le Noir , un roman de Stendhal (1830) En prêt au Centre culturel Français. p>
C'est un roman écrit dans la premi³re partie du XIX³me si³cle, inspiré de deux faits divers. Premi³rement, l'affaire Lafargue: un ouvrier tombe amoureux d'une femme mariée. Mais celle-ci veut rompre. Lafargue se venge en la tuant. Deuxi³mement, l'affaire Berthet. Ce fils de maréchal-ferrant est admis au séminaire de Grenoble (la ville natale de Stendhal). Mais, très malade, le jeune homme est obligé d'interrompre ses études et devient précepteur dans une famille riche. Il est alors accusé d'avoir une liaison avec la maîtresse de maison. Renvoyé, Berthet reprend du service dans la maison voisine où il est soupçonné de la séduire m³re de ses él³ves. Persécutée par son ancienne maîtresse qui ne supporte pas d'avoir été si facilement remplacée, le jeune Berthet se venge et lui tire dessus. Il est ensuite condamné à mort. P>
Complexe d'infériorité p>
Les traits principaux de la pauvre vie de Julien Sorel, le héros du roman, sont un mélange de ces deux histoires. Pas très imaginatif, le p³re Stendhal qui s'est contenté de dépouiller les chiens écrasés. Mais grâce à son style souple et prévenant-il n'hésite pas à s'inquiéter de l'ennui du lecteur-, il est vite pardonné. P>
Julien est fils de charpentier. Mais il est chétif et adore la lecture, deux défauts impardonnables pour réussir dans le métier de son p³re. Que peut-il faire alors? S'il était nÉ plus tôt, il aurait pu servir dans l'armée de Napoléon, «l'homme providentiel» que Dieu a envoyé pour sauver le peuple, et s'habiller de rouge. Mais il est trop tard. Déterminé à faire carri³re à tout prix, il choisit la religion et l'habit noir. Il apprend par cur toute la Bible en latin et devient un phénom³ne, un miracle. Julien Sorel gravit alors les échelons de la société et se retrouve précepteur chez M. de Rênal. Peu de temps apr³s, il a une liaison avec la femme de son patron. Découvert, il quitte son emploi et se met ensuite au service de M. de la Mole. Sorel découvre le milieu de l'ancienne noblesse parisienne et l'amour de Mathilde, la fille de son bienfaiteur. C'est le mariage mais Mme de Rênal vient compromettre cette relation. Harcelé, Julien tente de la tuer dans une église de deux coups de pistolet, puis il est guillotiné. Fin sans gloire d'un ambitieux ... p>
Julien Sorel est le héros stendhalien par excellence, torturé par ses contradictions. Il séduit déjà deux femmes de natures tout à fait distinctes. L'une voit dans le jeune précepteur son fils aîné. L'autre est hautaine et orgueilleuse. Mathilde vit encore dans le passé et recherche en Julien son aïeul Boniface de la Mole, l'amant de la reine p>
Marguerite de Navarre, un maître tyrannique. De son côté, Julien ne pense qu'à lui. Aimer Mme de Rênal ou Melle de la Mole n'est qu'un prétexte afin de faire ses preuves dans cette haute société et anéantir son complexe d'infériorité. Peur d'être mal traité, peur surtout de paraître ridicule. Julien scrute, examine, analyse les moindres faits et gestes de ses conquêtes: Mme de Rênal retire sa main de la sienne. Ne serait-ce pas là une marque de mépris? Paralysé par l'obsession de son rang, Sorel ne parvient pas à éprouver de l'amour. Dans l'âme de ce jeune homme du peuple, les sentiments se brouillent. P>
Le Rouge et le Noir est une uvre attirante. Son titre d'abord fascine par la netteté des couleurs. Le rouge, symbole d'un rêve militaire, peut-être le sang de Mme de Rênal répandu sur le sol de l'église. Le noir, choisi par le héros pour faire carri³re en se servant de la religion, peut-être aussi le deuil que porte Mathilde à la mort de son mari. P>
Par ailleurs, dans cette société machiavélique, l ' hypocrisie n'est point un défaut. Au contraire, elle est justifiée, un avantage même dans un monde livré aux vices, où on ne trouve personne à admirer ou à respecter. P>
Julien est l'un de ces hypocrites qui se sert des gens comme de ponts pour franchir les paliers de la hiérarchie sociale et réaliser ses rêves. p>
En fait, Stendhal nous propose une chronique du XIX³me si³cle, d'une génération de jeunes gens dont Sorel est le représentant. Mais au-delà de l'espace du roman, il est aussi le miroir d'une jeunesse actuelle qui rêve, comme Julien sublime Napoléon, de vivre d'autres temps plus héroïques. P>
Nissrine A. Sheikh p>
Le Rouge et le Noir raconte l'histoire de Julien Sorel, jeune hommeadmirateur de Napoléon qui hésite entre une carri³re ecclésiastique oumilitaire, qui a du succ³s aupr³s des femmes, et qui, parti d'unesituation difficile arrive petit à petit à une respectable situation,malheureusement à la fin du livre il déc³de.
Dans ce roman, à travers le héros, Stendhal fait l'éloge de Napoléon
Bonaparte. Julien Sorel, dés son plus jeune âge (''Dés sa premi³reenfance, la vue de certains dragons du 6e, aux longs manteaux blancs etla t³te couverte de casques aux longs crins noirs, qui venaient d'Italieet que Julien vit attacher leurs chevaux à la fenêtre grillée de son p³re,le rendit fou de l'état militaire. Plus tard, il écoutait avec transportles récits des batailles du pont de Lodi, d'arcole, de Rivoli ...''),admire l'Empereur et rendu à un âge de réflexion il regrette son départ
(''Depuis la chute de Napoléon, toute apparence de galanterie estsév³rement bannie des moeurs de la province'',''Quand la présence continuedu danger a été remplacée par les plaintes de la civilisation moderne,leur race (des âmes héroïques) a disparu du monde.''''Ah! s'écria-t-il
(Julien) que Napoléon était bien l'homme envoyé de Dieu pour les jeunes
Français! Qui le remplacera? Que feront sans lui les malheureux, mêmeplus riches que moi, qui ont juste les quelques écus qu'il faut pour seprocurer une bonne éducation, et pas assez d'argent pour acheter un hommeà vingt ans et se pousser dans une carri³re! Quoi qu'on fasse, ajouta-t -il avec un profond soupir, ce souvenir nous empêchera d'être heureux !'')< br>Et le rêve de Julien Sorel est de succéder à son héros (''Son bonheur n'eutplus de bornes lorsque, passant pr³s du vieux rempart, le bruit de lapetite pi³ce du canon fit sauter son cheval hors du rang. Par un grandhasard, il ne tomba pas; de ce moment il se senti un héros. Il étaitofficier d'ordonnance de Napoléon et chargeait une batterie .'') p>
Si vous avez raté le roman
Stendhal ne sculptait pas ses romans dans le marbre. Il écrivait vite, trèsvite, pour capter la vitesse de la vie, saisir son époque. La trame duroman est d'ailleurs tirée d'un fait divers qui agita l'ls³re en 1827. Sonhéros Julien Sorel est un jeune homme pauvre et doué qui, dans la Franceultra et bigote de la Restauration, ne peut sortir de sa condition que parla prêtrise et les femmes, car Julien est beau garçon. Il n'est pas
Rastignac, trop impétueux pour cela. Ni Don Juan. Ce sont les femmes qui lechoisissent.
D'abord, madame de Rênal, la provinciale, épouse du maire de Verri³res, lapetite ville où Julien est nÉ, qui l'a engagé comme précepteur des enfants.
Puis Mathilde de La Mole, la Parisienne, enfant gâtée et fanstasque dumarquis de La Mole, un pair du royaume dont Julien est devenu lesecrétaire. Alors qu'il est sur le point d'épouser la jeune fille, il prendconnaissance de la lettre, toute de venin, que madame de Rênal a envoyée àson futur beau-p³re, le marquis. Il décide de la tuer. Julien, comme tousles héros de Stendhal, ne mourra pas dans son lit. p>
| Un grand écrivain appartient à tout le monde et |
| Stendhal est de ce point de vue un écrivain singulier, pour employer |
| un qualificatif qu'il affectionne, au point qu'on le trouve parfois |
| à plusieurs reprises dans la même page de l'un de ses romans et des |
| centaines de fois dans son oeuvre. |
| Singulier d'abord parce qu'il a été peu lu de son vivant, même s'il |
| a suscité l'admiration de Balzac et de Goethe, ce qui n'était pas |
| rien. Lui-même pensait qu'il serait lu plus tard, en 1880, en |
| 1930 ... et il avait vu clair. Il est aujourd'hui considéré dans le |
| monde comme un des plus grands écrivains de tous les temps, si son |
| temps l'a ignoré. |
| Mais il n'a jamais cessé de susciter des sentiments divers et s'il |
| éveille chez les uns une sympathie pour des raisons parfois |
| contradictoires, d'autres au seul bruit de son nom débordent |
| d'indignation et d'injures. |
| Ainsi Claudel, vous le savez, qui voyait encore en lui "un |
| pachyderme ", un" épais philistin "et se conentait de le classer dans |
| le nombre des "ratés et des refoulés de l'amour". |
| En ce qui me concerne ce que je trouve singulier chez ce grand |
| écrivain, ce que j'aime en lui, c'est justement qu'il est un |
| personnage contrasté, à l'image de la vie elle-même. Certains de ses |
| détracteurs - et amis quelquefois - ont beau jeu de dire qu'il a |
| tenu sur tel personnage ou tel évément historique des propos |
| contradictoires mais, j'y reviendrai, il me semble au contraire |
| qu'au-delà de ces contradictions, qu'il se situe, lucidement, dans |
| le sens du devenir historique et qu'il porte un jugement perspicace |
| sur la société de son temps. S'il ne se refuse pas à voir les |
| contradictions, y compris les siennes propres, il reste ancré sur |
| l'essentiel. Ce qui le conduit à jeter un regard sév³re sur l'époque |
| de la Restauration et de la monarchie de Juillet, en restant fid³le |
| à ses premi³res amours jacobines. |
| Il est singulier que Stendhal passe encore aujourd'hui dans certains |
| milieux pour l'avocat de Tartuffe à cause du Rouge et Noir. |
| D³s son enfance au contraire, le jeune Beyle se révolte devant |
| toutes les manifestations d'hypocrisie. Et à la fin de sa vie, il |
| remarque dans Henri Brulard: "La société prolongée avec un |
| hypocrite me donne un commencement de mal de mer. "|
| Toute son oeuvre sera marquée par ce sentiment. |
| Il ya d'abord l'aspect littéraire du probl³me, la question du style |
|: On sait comment l'horreur de l'emphase le conduit à prendre le |
| Code civil pour mod³le - du moins l'assure-t-il - et comment il |
| faillit, dit-il, se battre en duel à cause de "la cime indéterminée |
| des forêts "de Chateaubriand, qui trouvait des admirateurs dans son |
| régiment. | p>
| "Le style de M. de Chateaubriand et de M. Villemain me semble dire |
|: 1. beaucoup de petites choses agréables mais inutiles à dire ... |
| 2. beaucoup de petites faussetés agréables à entendre. "|
| On sait aussi comment, pour protester contre l'enseignement que lui |
| dispense le jésuite Raillane, il se réfugie avec passion dans |
| l'étude des mathématiques, où, pense-t-il, l'hypocrisie n'est pas |
| possible. Ces ch³res mathématique dont, faisant beaucoup plus tard |
| le bilan de sa vie, il pouvait dire encore dans La Vie d'Henri |
| Brulard: "J'aimais et j'aime encore les mathématiques comme |
| n'admettant pas l'hypocrisie et le vague, mes deux bêtes |
| d'aversion. "|
| Paul Valéry a raison de remarquer: "Suprêmement sensible à |
| l'hypocrisie, il flaire à cent lieues, dans l'espace social, la |
| simulation et la dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel |
| était ferme et presque constitutionnelle. "|
| Mais ce n'est là encore qu'une approche de la question. Pendant |
| longtemps, son journal en fait foi, Stendhal a été hanté par le |
| Tartuffe de Moli³re. Dans Le Rouge et le Noir, il s'attaque |
| lui-même au coeur du probl³me et nous fait comprendre admirablement |
| qu'il ne s'agit pas en l'occurrence de psychologie individuelle, ni |
| encore moins de métaphysique, mais en derni³re analyse de |
| politique. |
| Car le véritable accusé dans Le Rouge et le Noir, ce n'est pas |
| Julien, mais la société. Et non pas la société en général donnée |
| une fois pour toutes, mais celle que connaît Stendhal et dont il |
| démonte les rouages avec une précision d'horloger. |
| La révolte de Stendhal est historiquement datée. Que nous montre en |
| effet Le Rouge et le Noir? Que, dans une société soumise à la |
| tyrannie d'une classe dominante (et l'auteur décrit très |
| concr³tement comment s'exerce, sous la Restauration, cette |
| domination des nobles et de la Congrégation), celui que le sort a |
| fait naître dans une "classe dite inférieure" n'a le choix qu'entre |
| l'hypocrisie et la révolte. Et Le Rouge et le Noir, côté Julien, |
| est révolte et non pas hypocrisie; |
| La morale, c'est tout ce qui est utile à la caste privilégiée. |
| L'hypocrisie n'est pas dans ce cas le fait de l'individu. Elle est |
| partout, elle est la condition même du bon fonctionnement du |
| syst³me social. C'est la société qui l'impose à l'individu, et |
| celui-ci n'a pas le choix, il est contraint d'accepter la r³gle du |
| jeu, de feindre d'être dupe s'il ne veut pas être rejeté et |
| condamné. Car "mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves" |
|? |
| L ' "égotisme" dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle n'est |
| au fond que l'aspiration de l'individu à se libérer de cette gangue |
| sociale, qui l'empêche de s'épanouir. |
| A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de s'excuser |
| d'avoir recours au mot et à la chose comme s'il était inconvenant |
| de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet acc³s de modestie |
| littéraire à laquelle il nous convie sans beaucoup y croire. |
| Ce qui est vrai c'est que l'égotisme n'est ni exemplaire ni valable |
| en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singuli³re, |
| circonstancielle et se mesure à la qualité de celui qui le |
| pratique. M. de Chateaubriand peut apparaître, c'est Stendhal |
| lui-même qui le dit, comme "le roi des égotistes", il op³re |
| cependant sur un autre registre que l'auteur du Rouge et Noir, qui |
| remarque: "Je suis comme une femme honnête qui se ferait fille: |
| j'ai besoin de vaincre à chaque instant cette pudeur d'honnête |
| homme qui a horreur de parler de soi. "| p>
| L'égotisme c'est la résistance à une société injuste, avec les |
| moyens du bord. C'est la revendication d'être soi-même face à des |
| contraintes extérieures jugées inacceptables. D'où l'exaltation |
| permanente du naturel qui s'oppose à la vanité, comme l'être |
| s'oppose au paraître. Le naturel c'est la sincérité, la passion, le |
| mépris des faux-semblants et des convenances, le refus d'accepter |
| la r³gle d'un jeu social fondé sur le mensonge. Ce n'est donc pas |
| de l'égoïsme et ce n'est pas seulement la volonté de se faire, |
| suivant le mot de Valéry, "l'insulaire de l'Ile Moi" car Stendhal |
| et ses héros professent une morale qui est, comme toute morale, une |
| r³gle de la vie en société: celle de l'utilité. |
| L'égotisme est une réaction d'autodéfense de l'individu à cette |
| époque précisément - celle de la Restauration et de la monarchie de |
| Juillet - contre les sentiments bas, les ambitions subalternes, |
| l'amour de l'argent, l'intolérance et l'arbitraire du despotisme: |
| "Tout ce qui était tyrannie, écrit Stendhal, me révoltait et je |
| n'aimais pas le pouvoir. "|
| Cette aspiration à la liberté dépasse le niveau de la revendication |
| individualiste. Elle est porteuse d'un espoir plus vaste qui |
| réconcilierait l'homme révolté avec la société. Mais cet espoir est |
| exclu dans un syst³me fondé sur le mensonge et l'obscurantisme. |
| Qu'il s'agisse de l'Italie féodale, de la France de la |
| Restauration, ou de la monarchie de Juillet, partout c'est |
| l'hypocrisie qui fait loi. Quel est le leitmotiv de l'enseignement |
| dispensé par la Congrégation sous Charles X: "Ce sont les livres |
| qui ont perdu la France. "Quelle est la philosophie en honneur dans |
| les classes dirigeantes à Parme? "Le marquis del Dongo professait |
| une haine vigoureuse pour les Lumières: ce sont les idées, |
| disait-il, qui ont perdu l'Italie. "Quel est le conseil donné à |
| Fabrice par le bon abbé Blan³s (détesté par le marquis "parce qu'il |
| raisonne trop pour un homme de si bas étage "):" Si tu ne deviens |
| pas hypocrite, lui disait-il, peut-être tu seras un homme. "Quelle |
| est la r³gle de conduite impérative dans le noble salon de l'hôtel |
| de La Mole où Julien, qui fait ses premiers pas d'homme introduit |
| dans le monde, s'aperçoit que "la moindre idée vive semblait une |
| grossiéreté "? Stendhal nous résume cette r³gle non écrite en |
| paraphrasant Beaumarchais: "Pourvu qu'on ne plaisantât ni de Dieu, |
| ni des prêtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes |
| protégés par la cour, ni de tout ce qui est établi, pourvu qu'on ne |
| dît de bien ni de Béranger, ni des journaux de l'opposition, ni de |
| Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de |
| franc-parler, pourvu surtout qu'on ne parlât jamais de politique, |
| on pouvait librement raisonner de tout. "|
| Pour Stendhal, le pouvoir engendre inévitablement la courtisanerie |
| et il écrit joliment: "Le chevalier bégayait un peu parce qu'il |
| avait l'honneur de voir souvent un chevalier qui avait ce défaut. "|
| Mais c'est peut-être le personnage de Lamiel - sorte de double |
| féminin de Julien Sorel - qui manifeste avec le plus d'éclat son |
| dégoèt de l'imposture et son refus d'être dupe des fausses |
| apparences: "Le premier sentiment de Lamiel à la vue d'une vertu |
| était de croire à une hypocrisie. "Elle pousse même jusqu'à |
| l'absurde cette volonté d'être sinc³re pour sa part, quoi qu'il en |
| coète, et d'être aimée en retour pour elle-même et non seulement |
| pour sa beauté. |
| C'est le singulier épisode du "vert de houx" lorsqu'elle frotte une |
| de ses joues avec ce produit pharmaceutique qui a la propriété |
| d'enlaidir momentanément les plus charmants visages. Elle veut |
| vérifier si le jeune duc qui est amoureux d'elle résistera à cette |
| épreuve. Estimant que l'amour véritable ne peut se contenter de |
| l'apparence, elle entreprend ce jeu singulier, un peu comme cette |
| héroïne de l'Astrée qui se déchire le visage avec son diamant pour |
| s'assurer qu'elle est réellement aimée. Telle est l'exigence |
| absolue de la passion selon Stendhal. Telle aussi la méfiance |
| profonde de ses héros à l'égard de ce qui leur paraît mensonge, |
| truquage, hypocrisie dans "cet ignoble bal masqué qu'on appelle le |
| monde "(Lucien Leuwen, cap. 17). |
| Apr³s avoir découvert que "le monde" - la société de la |
| Restauration et de la monarchie de Juillet - est un ignoble bal |
| masqué, apr³s avoir mis à nu le fonctionnement d'un syst³me fondé |
| sur l'hypocrisie et la tyrannie de l'argent, quelle attitude va |
| adopter le héros stendhalien à la recherche du bonheur? |
| La réponse à cette question est liée à l'appartenance sociale des |
| héros: constatation qui pourrait apparaître comme un truisme si la |
| littérature jusqu'à lui n'avait pas - pour des raisons |
| historiquement compréhensibles - à peu pr³s totalement masqué cet |
| aspect des choses. C'est même là un des traits qui font de Stendhal |
| un romancier délibérément moderne: Le Rouge et le Noir par exemple |
| est sans doute dans notre histoire le premier roman où le probl³me |
| de classe soit posé avec une telle netteté, où il constitue la |
| trame même de l'action. |
| Il existe un dénominateur commun à la plupart des personnages de |
| Stendhal, même les plus différents au premier abord, sans doute |
| parce que l'auteur a mis dans chacun d'eux beaucoup de ses rêves et |
| de sa propre expérience. Cependant leur comportement est fonction |
| du milieu dont ils sont issus et pour tout dire de leur classe. |
| Toute sa vie, Henri Beyle a été un touriste passionné du monde sous |
| tous ses aspects. Mais il n'a pas seulemnt parcouru les routes |
| d'Europe. Dans son oeuvre, il nous invite à une véritable |
| exploration des classes sociales. | p>
| Tout se passe comme s'il s'était dit: "Qu'aurais-je pu être si |
| j'étais nÉ paysan et pauvre sous la Restauration? "Et il a créé |
| Julien Sorel. Fils de banquier sous Louis-Philippe, il aurait pu |
| être Lucien Leuwen. Et Fabrice del Dongo, s'il était nÉ noble dans |
| une petite principauté d'Italie au début du XIXe si³cle. Il a même |
| poussé la curiosité jusqu'à se dire: "Et si j'avais été une |
| femme. "Il a alors écrit Lamiel, roman très en avance sur son |
| époque et qui pose avec une audace à faire grincer les dents de |
| beaucoup le probl³me de l'émancipation de la femme. |
| Tous ses héros, chacun à sa mani³re, se sentent étrangers dans la |
| société où ils vivent. Pour la même raison fondamentale. Mais ils |
| réagissent différemment compte tenu de leur origine sociale. A |
| vingt ans, dans son Journal, Stendhal s'adressait à lui-même cette |
| mise en garde: "Ne pas prêter à des gens d'une classe des idées |
| que l'on n'a que dans une autre classe. Les gens du peuple |
| parlent-ils souvent du bonheur comme nous l'entendons? "Julien |
| Sorel est en butte à l'humiliation et à la pauvreté, mais non pas |
| Fabrice ou Lucien Leuwen que le sort a comblés. Ceux-là |
| s'ennuient, l'autre non. |
| C'est en liaison avec la société de son temps que Stendhal pose le |
| probl³me de l ' "Ennui", ou si l'on veut du "Mal du Si³cle". Là |
| encore sa position est résolument antimétaphysique parce qu'il |
| flaire la mystification derri³re la grandiloquence des attitudes. |
| Tout d'abord il n'a pas assez de sarcasmes à l'égard de ceux qui |
| se sont conquis une célébrité en se faisant les spécialistes du |
| désespoir. "Ce qui fait marquer ma différence avec les niais |
| importants ... qui portent leur tête comme un saint sacrement, |
| c'est que je n'ai jamais cru que la société me dèt la moindre |
| chose. Helvétius me sauva de cette énorme sottise. La société paie |
| les services qu'elle voit. "|
| Apr³s avoir ramené le probl³me du ciel sur la terre, il |
| diagnostiqua le "Mal du Si³cle" en ces termes: "Les sentiments |
| vagues et mélancoqliques, partagés par beaucoup de jeunes gens |
| riches à l'époque actuelle, sont tout simplement l'effet de |
| l'oisivieté. "|
| Julien ne connaît pas l'ennui parce qu'il a, comme dira plus tard |
| Rimbaud, "la réalité rugueuse à étreindre". Lucien ou Fabrice, au |
| contraire, doivent lutter contre le monstre et ne peuvent y |
| échapper que par l'amour. |
| Le héros de Stendhal ne se croit pas l'objet d'une malédiction |
| divine. Il ne s'estime même pas personnellement victime de |
| l'incompréhension ou de la méchanceté des autres: "Je n'ai jamais |
| eu l'idée que les hommes fussent injustes pour moi. "Non, sa |
| critique est plus fondamentale. Il rejette la r³gle du jeu de la |
| société dans laquelle il vit. Julien, le plébéien, parce que cette |
| société l'opprime, Fabrice ou Lucien - les privilégiés - parce |
| qu'elle opprime les autres et qu'elle ne leur offre pas une raison |
| de vivre. L'un est en lutte contre la société, les autres sont en |
| marge de leur classe. Les uns et les autres, au fond, pour la même |
| raison d'ordre moral: même ceux qui en tirent profit ne se |
| satisfont pas de l'injustice. |
| En peignant la réalité telle qu'elle est, Balzac nous donne, dans |
| La Comédie humaine, une critique féroce de la société bourgeoise |
| que la dédicace de La Rabouilleuse dit "basée uniquement sur le |
| pouvoir de l'argent ". |
| Cependant, jamais Balzac ne met en cause la légitimité de l'ordre |
| social, au plus haut degré duquel il veut parvenir. Stendhal, |
| quelles que soient les tentations, répugne à entrer dans le jeu: |
| il reste un opposant politique. |
| Mais le monde écrit par les deux romanciers est le même. La |
| Comédie humaine est bien l'ignoble bal masqué qu'évoque Stendhal. |
| C'est l'époque de l'ambition effrénée, fille de la révolution |
| industrielle. |
| L'objectif c'est d'arriver, sans être délicat sur le choix des |
| moyens. Le premier commandement c'est d'accepter, les yeux fermés, |
| la r³gle du jeu, et il est caractéristique que Stendhal et Balzac |
| utilisent exactement la même image pour en montrer la nécessité. | p>
| Quand la duchesse Sanseverina veut expliquer à son neveu Fabrice |
| l'attitude qu'il doit observer pour gravir les échelons dans "le |
| parti de l'Eglise ", elle a ces mots:" Crois ou ne crois pas à ce |
| qu'on t'enseignera, mais ne fais jamais aucune objection. |
| Figure-toi qu'on t'enseigne les jeux du whist. Est-ce que tu |
| ferais des objections aux r³gles du whist? "|
| Exactement de la même mani³re chez Balzac, Vautrin incite son |
| protégé Rastignac, s'il veut faire fortune, à respecter |
| scrupuleusement les lois mises en place par le pouvoir établi. |
| "Quand vous vous asseyez à une table de bouillotte, en |
| discutez-vous les conditions? Les r³gles sont là, vous les |
| acceptez ... "Cet" ennemi de la société "n'est pas insensible aux |
| vertus du conformisme. Aussi finira-t-il chef de la Sèreté. Comme |
| le personnage réel dont s'est inspiré Balzac, c'est-à-dire |
| François Eug³ne Vidocq, ancien bagnard, qui devint le chef de la |
| police parisienne. |
| Comme le dit Vautrin, ce moraliste lucide qui sait de quoi il |
| parle: "l'honnêteté ne sert à rien." |
| C'est ici que le héros de Stendhal se sépare du héros de Balzac. |
| Dans ce si³cle d'ambitieux forcenés - presque tous les personnages |
| de premier plan de La Comédie humaine le sont - il occupe une |
| place singuli³re. Ni Fabrice, ni Lucien Leuwen ne sont des |
| ambitieux. Et si Julien Sorel l'est un moment, il ne s'agit pas en |
| ce qui le concerne d'une ambition ordinaire. C'est "une jeune |
| pauvre et qui n'est ambitieux que parce que la délicatesse de son |
| coeur lui fait un besoin de quelques-unes des jouissances que |
| donne l'argent ". Il s'agit davantage chez lui d'une révolte de |
| l'orgueil, d'un réflexe d'autodéfense pour échapper à |
| l'humiliation puis d'une r³gle de conduite que faisant violence à |
| ses sentiments profonds il s'est fixée pour se prouver à lui-même |
| ses mérites malgré le handicap de classe. Mais il n'arrive jamais |
| à faire taire en lui la voix du coeur, et son cynisme n'est que de |
| surface. A chaque instant sa sensibilité risque de mettre en péril |
| le fragile échafaudage de ses intrigues. Et c'est quand il a |
| atteint le comble de la réussite qu'il se perd par une |
| comportement suicidaire qu'aucun ambitieux véritable n'aurait |
| adopté. |
| Comme les héros du Rouge et de la Chartreuse, les Rastignac et les |
| Rubempré jugent sans illusion cette jungle sociale où, selon |
| Balzac, r³gne "la toute-puissante pi³ce de cent sous", et où selon |
| Stendhal "la condamnation à mort est la seule chose qui ne |
| s'ach³te pas ". Mais apr³s avoir versé quelques larmes, Rastignac |
| choisit à sa mani³re de se diriger vers les hauteurs. Il se jure |
| de "parvenir, parvenir à tout prix!", car il ne veut pas finir |
| dans les rangs des vaincus. |
| Voilà pourquoi au contact de la vie parisienne il enterre avec Le |
| P³re Goriot les enthousiasmes généreux et les derniers scrupules |
| de sa jeunesse. Le défi fameux qu'il lance alors à Paris marque le |
| terme de la révolte morale et en un sens le commencement de la |
| résignation. L'honnêteté ne paie pas en effet. Désormais la r³gle |
| du jeu est acceptée, et avec elle la légitimité de l'ordre |
| bourgeois. Il s'agit de pénétrer dans le monde des privil³ges et |
| de se tailler un fief à sa mesure. Peu importent les moyens, que |
| l'on doive son succ³s, comme Rastignac, aux faveurs de la femme |
| d'un banquier ou, comme Rubempré, à l'amitié équivoque d'une |
| canaille évadée du bagne. L'essentiel est de participer au |
| "mouvement ascensionnel de l'argent" et d'arriver, même si on doit |
| pour cela écraser les plus faibles et flatter les puissants, |
| trahir les amitiés, laisser condamner les innocents, étouffer en |
| soi tout sentiment humain. C'est le prix de la réussite. |
| Tout autre est l'attitude de Julien Sorel. |
| Si Julien décide de se vouer au machiavélisme politique pour |
| conquérir les conditions matérielles nécessaires selon lui au |
| développement de "l'homme libre", il refuse en fait de jouer le |
| jeu, et sa sensibilité l'emporte à tout moment sur sa volonté |
| d'hypocrisie. |
| Au demeurant Stendhal ne veut pas qu'on s'y trompe. Au dénouement |
| du Rouge, l'auteur, comme le choeur dans les tragédies antiques, |
| intervient pour tirer la morale de l'histoire et prendre la |
| défense de son héros: "Il était encore bien jeune, mais, suivant |
| moi, ce fut une belle plante. Au lieu de marcher du tendre au rusé |
| comme la plupart des hommes, l'âge leur eèt donné la bonté facile |
| à s'attendrir, il se fèt guéri d'une méfiance folle ... Mais à |
| quoi bon ces vaines prédictions. "| p>
|" Au lieu de marcher du tendre au rusé ", comme Rastignac, comme tous les ambitieux |
| forcenés de ce temps ... Mais Julien Sorel n'est pas de cette lignée. Ce dont il a |
| besoin avant tout c'est de sa propre considération, fid³le en cela à une devise |
| ch³re à Stendhal: "Se f. .. compl³tement de tout, excepté de sa propre estime." |
| L'homme qu'il admire le plus, c'est Altamira, le conspirateur épris de justice |
| sociale et pour lequel il n'est qu'une morale, celle de l'utilité. Telle est |
| également dans les conditions particuli³res de leur classe, alors que toutes les |
| fées se sont penchées sur leur berceau, l'attitude de Lucien et de Fabrice, comblés |
| par le sort, mais qui se rév³lent des "inadaptés" en ce sens qu'ils refusent |
| d'entrer dans le jeu, de jouir sans remords de leurs privil³ges et qu'ils jugent |
| l'ordre social avec le même mépris lucide que le héros du Rouge et Noir. |
| Au dénouement, devant les jurés qui vont le condamner à mort, il se présente une |
| fois de plus comme le "plébéien révolté" et prononce contre cette justice de |
| classe, dont la fonction est moins de frapper le crime que la révolte devant |
| l'ordre bourgeois, un réquisitoire passionné: |
| "Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi |
| un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune. "Je ne vous demande |
| aucune grâce ... Je ne me fais aucune illusion, la mort m'attend: elle sera juste. |
| J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous |
| les hommages. "Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de |
| sévérité que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point |
| sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi mais uniquement des bourgeois |
| indignés ... "|
| Ce texte, souvent cité, que Stendhal écrivit dans les derni³res |
| années de sa vie, semble bien exprimer sa pensée profonde qu'il |
| livre sans complaisance. Rien ne lui fait plus horreur que |
| l'hypocrisie, et il ne veut pas se montrer meilleur qu'il n'est. |
| D'où cette brutalité dans la franchise qui, au lieu de chercher |
| à arrondir les angles, le conduit à accentuer le trait par un |
| goèt du scandale qui se confond avec celui de la vérité. |
| S'agissant du peuple, il nous livre le fruit de ses réflexions |
| avec un rien de provocation qui cache sans doute une révolte |
| profonde devant l'injustice de l'humaine condition. Oui, il |
| désire passionnément le bonheur du peuple, mais ce serait un |
| supplice de tous les instants que de vivre avec lui. Amer |
| constat d'impuissance mais pourquoi jeter les belles âmes et |
| farder la vérité? Oui, il préf³re la compagnie de ceux qui |
| aiment la musique de Mozart et les tragédies de Shakesperare. |
| Comme le dit un de ses héros: "Vivre sans conversation piquante |
| est-ce une vie heureuse? "|
| Non qu'il accepte l'injustice sociale et se range du côté des |
| classes privilégiées. Qu'il s'agisse d'Armance, du Rouge et |
| Noir, de Lucien Leuwen, ses romans sont une condamnation sans |
| appel de la société née de la révolution bourgeoise, aucune des |
| classes dirigeantes qui se disputent le pouvoir et l'argent ne |
| trouve grâce à ses yeux: "Jamais les hommes de salon ne se |
| l³vent le matin avec cette pensée poignante: comment dinerai-je |
|? "|
| Mais d'abord, il faut se souvenir de ce qu'est le peuple au |
| début du XIXe si³cle, la mis³re à laquelle il est réduit, |
| l'éducation dont il est privé, ses intolérables conditions de |
| vie, sa vulnérabilité à la maladie, l'alcoolisme, l'insalubrité |
| de l'habitat ouvrier. Telle est la terrible réalité du moment. |
| Le peuple est alors proche de la vision qu'en donne Hugo dans |
| Les Misérables ou Eug³ne Sue dans Les Myst³res de Paris. |
| Voici par exemple comment un historien évoque la vie des |
| ouvriers sous Napoléon: "La durée du travail quotidien dépasse |
| dix heures; elle va de cinq heures du matin à sept heures du |
| soir en été et de six heures du matin à six heures du soir en |
| hiver, avec deux heures de repas ... L'ouvrier est désarmé devant |
| le patron: interdiction des compagnonnages et des coalitions, |
| obligation du livret ... C'est à l'âge de douze ans ou quatorze |
| ans que l'on entre à l'atelier, mais d³s sept ans certains |
| enfants sont employés dans les fabriques à dévider la laine et |
| le coton. Autant dire que l'instruction est quasi inexistante, |
| la fréquentation d'une école impossible ... La combativité n'est |
| pas très développée, la conscience de classe inexistante ... Des |
| caves de Lille aux taudis de la Cité, l'insalubrité de l'habitat |
| ouvrier est générale. Le docteur Menuret le constate en 1804. "|
e quand cette femme sinc³rement croyante est persuadée que la |
| maladie de son fils, qu'elle adore, est une vengeance du ciel pour |
| ses péchés, elle ne peut que persister dans son amour: "Je suis |
| damnée irrémédiablement damnée ... Mais au fond je ne me repens |
| point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle était à |
| commettre. "|
| Ce th³me de l'instant exquis revient constamment dans l'oeuvre de |
| Stendhal. Par exemple dans Lucien Leuwen: "Jamais il n'avait |
| rencontré de sensation qui approchât le moins du monde de celle |
| qui l'agitait. C'est pour ces rares moments qu'il vaut la peine de |
| vivre. "|
| Lui-même raconte dans La Vie d'Henri Brulard comment il connut un |
| jour à dix-sept ans une approche voisine du "bonheur parfait" à la |
| seule vue d'un paysage: "Je voyais ce beau lac s'étendre sous mes |
| yeux, le son de la cloche était une ravissante musique qui |
| accompagnait mes idées et leur donnait une physionomie sublime ...|< br>| Pour un tel moment il vaut la peine d'avoir vécu. "|
| Le bonheur donc, c'est une occasion privilégiée, que les âmes |
| énergiques savent saisir: "Il se sentait entraîné, il ne |
| raisonnait plus, il était au comble du bonheur. Ce fut un de ces |
| instants rapides que le hasard accorde quelquefois comme |
| compensation de tant de maux aux âmes faites pour sentir avec |
| énergie. La vie se presse dans les coeurs, l'amour fait oublier |
| tout ce qui n'est pas divin comme lui, et l'on vit plus en |
| quelques instants que pendant de longues périodes. "| p>
| La passion chez Stendhal n'a pas seulement une valeur intrins³que. Les âmes de qualité |
| attendent davantage qu'une existence plate ou une ambition ordinaire. Lorsqu'elles |
| découvrent l'amour c'est l'illumination soudaine, l'écroulement des décors de ce théâtre |
| d'ombres, l'apparition de la vraie vie. |
| C'est un trait commun aux personnages stendhaliens issus de la haute société qu'ils ne se |
| satisfont pas de leur condition. L'orgueilleuse Mathilde de La Mole est apparemment comblée |
| par le sort: "Que pouvait-elle désirer? La fortune, la haute naissance, l'esprit, la |
| beauté à ce qu'on disait, et à ce qu'elle croyait, tout avait été accumulé sur elle par les |
| mains du hasard. "Pourtant les brillants cavaliers" parfaits, trop parfaits "qui lui font |
| la cour l'ennuient: "Elle abhorrait le manque de caract³re, c'était sa seule objection |
| contre les beaux jeunes gens qui l'entouraient. Plus ils plaisantaient avec grâce tout ce |
| qui s'écarte de la mode, ou la suit mal croyant la suivre, plus ils se perdaient à ses |
| yeux. "Ce qui l'attire - et l'irrite - chez Julien c'est qu'il ne ressemble pas aux autres, |
| et qu'il a précisément du caract³re: "Celui-là n'est pas nÉ à genoux, pensa-t-elle." |
| C'est toujours en effet à la société et à ses tabous que vient se heurter la passion |
| stendhalienne même quand elle est partagée. |
| C'est dans la solitude de sa prison alors qu'il a été condamné à mort et dans l'attente de |
| son exécution que Julien Sorel rencontre le bonheur et l'amour: "A aucune époque de sa vie |
| Julien n'avait trouvé un moment pareil ... Jamais il n'avait été aussi fou d'amour. "Il vit |
| dans l'instant, "sans presque songer à l'avenir", le temps pour lui est arrêté. "Par un |
| étrange effet de cette passion, quand elle est extrême et sans feinte aucune, Mme de Renal |
| partageait presque son insouciance et sa douce gaieté. "Nous retrouvons là cette aptitude à |
| jouir du moment de bonheur, malgré le tragique de la situation et pour une part à cause de |
| lui, qui est un trait du héros stendhalien. Dans les Cenci, quand Béatrix finit par avouer, |
| sous la torture, sa culpabilité dans le meurtre de son p³re, tous les prisonniers membres |
| de la conjuration bénéficient avant l'exécution d'un régime de faveur! "Aussitôt on ôta |
| les chaînes à tous et parce qu'il y avait cinq mois qu'elle n'avait vu ses fr³res, elle |
| voulut dîner avec eux et ils pass³rent tous quatre une journée fort gaie. "|
| Mais c'est dans La Chartreuse de Parme que ce th³me du bonheur dans la solitude apparaît |
| dans tout son éclat, avec les étranges amours de Clélia et de Fabrice. |
| C'est dans sa prison que Fabrice étrangement va lui aussi trouver le |
| bonheur. D³s son arrivée dans la citadelle il est "ému et ravi par |
| le spectacle "qu'il voit de sa fenêtre grillagée:" Par une |
| bizarrerie à laquelle il ne réfléchissait point, une secr³te joie |
| régnait au fond de son âme ... Au lieu d'apercevoir à chaque pas des |
| désagréments et des motifs d'aigreur, notre héros se laissait |
| charmer par les douceurs de sa prison. "La raison de cette joie |
| secr³te est facile à déceler, c'est qu'il a conscience de la |
| présence de Clélia, tout pr³s de lui dans la citadelle, Clélia qu'il |
| esp³re apercevoir. Lui qui avant de la rencontrer est amoureux de |
| l'amour mais qui se contente de collectionner les maîtresses sans |
| s'attacher vraiment à aucune ( "Pour lui une femme jeune et jolie |
| était toujours l'égale d'une autre femme jeune et jolie, seulement |
| la derni³re connue lui semblait la plus piquante "), lui pour qui une |
| des dame